QUITTER SON PAYS

PERDRE PIED

Sauve-toi, pour ta vie ! ne regarde pas derrière toi, et ne t’arrête pas dans toute la plaine ; sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne périsses. […] Et la femme de Loth regarda en arrière, et elle devint une statue de sel. Genèse, 19.

Nager en mer, en zone suffisamment profonde pour ne plus avoir pied, est un plaisir que beaucoup de personnes apprécient, tant qu’un certain périmètre de sécurité n’est pas franchi, de l’endroit vers lequel on revient pour retrouver la terre ferme. Le mouvement d’aller-retour entre territoire connu et territoire inconnu remonte à la petite enfance où l’on explore avec d’autant plus d’assurance le monde extérieur si l’on sait que notre port d’attache maternel est inamovible.

A l’âge adulte, les voyages participent du même mouvement aller-retour pour être envisagés comme une aventure de laquelle on revient avec un trésor intérieur (des souvenirs, des récits), et un trésor matériel (les photos partagées, le rituel des cadeaux distribués). C’est le principe de l’initiation, c’est-à-dire quitter les rives natales pour se confronter à des réalités inconnues, mystérieuses, et en revenir grandi : l’Odyssée d’Ulysse (par Homère) en est l’une des plus anciennes et des plus belles narrations.

L’exil, c’est-à-dire l’impossibilité du retour, maintient ce mouvement de balancier entre l’aller et le retour mais sur le plan psychique, le sujet fantasme son retour et fait de cette élaboration fantasmatique, les soubassements de son exil. Il va construire sa vie d’exilé sur le projet ultime de rentrer en héros chargé de trésors pour les siens, de rentrer dans un pays qu’il a « mis sous vide » depuis son départ, de retourner vers un lieu figé, pétrifié par sa mémoire. L’espace du retour est imaginaire, bien loin des réalités contemporaines du pays en question et encore plus loin des personnes quittées, en constante évolution en l’absence du sujet. Il devient étranger dans son pays natal, dans ses relations originelles, il devient étranger à celui qu’il était, avant son départ.

Ce caractère d’étrangeté ne le quittera plus, ni dans le pays « d’adoption » ni dans le pays « biologique », la terre se dérobe sous lui, il perd pied.

Cela se manifeste par des liens distendus avec ceux qui restent, ces relations sont teintées de culpabilité (j’ai abandonné les miens) et de frustration (mon absence n’a pas entravé le cours de leur existence). De plus la filiation est troublée, soit par l’éloignement géographique des ascendants, soit par l’absence de transmission de patrimoine, d’objets, de lieux, célébrant leur mémoire.

Cela se manifeste également par une perte des repères culturels, moraux, religieux ou bien au contraire par une crispation sur des valeurs cultivées voire sclérosées par la mémoire puisque décalquées de leur contexte initial, d’un contexte révolu. Les deux tendances expriment un flottement dans l’identité, ni ici ni ailleurs.

Un thème natal peut nous indiquer l’influence d’une terre et d’une culture étrangères dans le déroulement d’une vie, notamment une installation définitive ou non dans un autre pays. Ainsi le signe du Sagittaire, la planète Jupiter et la maison 9 sont les significateurs les plus évidents de l’Étranger, du voyage sans retour qui remue, voire abîme les racines identitaires d’une personne qui présente des fragilités à ce niveau.

C’est d’ailleurs avec ces mêmes indicateurs que l’on considère la manière dont cette personne, recherche du sens à sa vie, en explorant les domaines des idées, des philosophies, des religions… ou bien en conservant et cultivant celles transmises par sa famille, son pays… La maison 9 cherche des réponses aux pourquoi de l’existence et les planètes et signes qui s’y trouvent, nous donnent également des indications sur le Dieu que nous vénérons ou sur la philosophie que nous adoptons.

A ces significateurs astrologiques, on peut ajouter le signe du Poissons et la planète Neptune quand ils sont accentués dans un thème, mais avec une spécificité, celle d’exprimer un éloignement, un déracinement qui perturbe les repères, distend les liens, brouille les perceptions et le jugement.

De fortes positions en maison 9 ou 12 peuvent suggérer que le sentiment d’identité se confond avec des choses lointaines et perd de vue la réalité. Ainsi on peut constater qu’identité, recherche de sens et voyage sont fortement intriqués en astrologie.

QUITTER SON PAYSLe destinataire de ce thème vit depuis une vingtaine d’années à l’étranger. Dans un premier temps, il a envisagé un séjour d’une durée limitée qui a fini, par devenir illimitée.

On remarque que la maison 9 est occupée par la conjonction Lune / Jupiter en Gémeaux, conjonction ô combien influente par sa position proche du Milieu du Ciel et par la présence de la Lune. Il est évident que cette personne aspire aux voyages, aux horizons lointains, aux idéaux qui élèvent, anoblissent l’Homme ; et en retour s’en trouve inspirée, nourrie en profondeur.

Le signe du Gémeaux indique la tonalité de cette aspiration viscérale au voyage au-delà des frontières : une tonalité mentale, c’est-à-dire que les rapports avec l’étranger sont d’ordre intellectuel, ils lui apportent des connaissances qui l’instruisent et enrichissent ses compétences, ils sont l’objet de nombreux contacts, relations, qui fondent un réseau important favorisant son intégration sociale, élevant son statut socio-professionnel (la Lune est maîtresse de la maison 10, secteur des réalisations socioprofessionnelles). Cette configuration facilite l’installation d’un foyer, d’une famille (un des significateurs de la Lune) en terre étrangère.

Cette expansion est soutenue par les aspects que reçoit la conjonction, soit un sextile au Soleil et un trigone à Mars : ces deux planètes travaillent au rayonnement de la personne dans sa sphère d’activité.

Si l’on souhaite trouver une confirmation de cette influence de l’étranger sur la personne, nous pouvons noter que Neptune (planète de l’éloignement) se situe en maison 2, secteur des compétences exploitées et des gains, ce qui laisse penser que le bénéfice de ses compétences se trouve loin de son pays natal, cela est doublement confirmé par l’aspect favorable reçu par Saturne en maison 6 (secteur des obligations quotidiennes) en Poissons (signe régi par Neptune) ; cet aspect est un facteur de longue durée, de stabilité dans cette situation d’éloignement.

Une dernière planète est activée par cette configuration d’exil, il s’agit de Vénus, située à l’Ascendant (donc très influente sur le tempérament de la personne) et en aspect dissonant avec la conjonction Lune / Jupiter ainsi qu’avec la maison 10 : cela augure un clivage entre, d’une part, les valeurs personnelles auxquelles la personne est attachée, ses relations affectives, et d’autre part, sa vie établie à l’étranger.

Une réflexion sur “QUITTER SON PAYS

  1. Merci pour ce magnifique texte qui décrit bien ce que ressent un déraciné. c’est là le malaise de beaucoup des exilés.

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